Ivan TOURGUÉNIEV: André Kolossov
« Dans une salle convenablement meublée, quelques jeunes gens étaient assis devant la cheminée. C’était le tout début d’une soirée d’hiver : le samovar bouillait sur la table, la conversation battait son plein et passait d’un sujet à l’autre. »
Pour fixer la discussion, l’un des jeunes gens propose que chacun fasse le récit de sa rencontre avec un être exceptionnel. Il y a dix ans déjà, alors qu’il était étudiant à Moscou, il lui fut donné de connaître un de ces hommes : André Kolossov, étudiant un brin dilettante, mais qui jouissait d’une grande renommée dans le petit monde des étudiants moscovites. Un jour, Kolossov l’invite à l’accompagner dans les environs de la ville chez Sidorenko, un lieutenant en retraite, un joueur, dont Kolossov courtise la fille, Varia. Mais le narrateur ne tarde pas à tomber lui aussi sous le charme de la belle Varia…
Tourgueniev fait partie de ces auteurs (ces très, ces trop nombreux auteurs) découverts à l’occasion d’une lecture merveilleuse et dont je garde depuis le désir de les lire, de les découvrir plus avant. Dans mes années d’adolescence, la chronique douce-amère de Premier amour m’avait transporté, pour des raisons que je n’ai pas retrouvé plus tard, en tout cas pas avec la même fraîcheur, lorsque je l’ai relu, mais j’en ai découvert d’autres alors, tout aussi valables, qui continuent à me faire aimer ce livre et à relancer le désir d’en connaître plus de son auteur. Noël et ses présents a fourni l’occasion qui me manquait. Grâce aux trois beaux volumes que la Bibliotheque de la Pléiade consacre aux Romans et nouvelles complets de Tourgueniev, j’ai commencé à me plonger dans cette œuvre que je découvre, enfin, et avec beaucoup de plaisir, comme presque toujours lorsqu’il s’agit de prose russe, et plus particulièrement cette prose-là, pour l’attention donnée au réalisme des situations, des caractères, parce qu’on y croise quelques beaux personnages féminins, et pour les très belles notations de paysages.
Le premier texte en prose de Tourgueniev est ainsi une étude de mœurs, telle qu’on en écrivait au XIXème siècle, un croquis du milieu étudiant dans le mode réaliste. Le narrateur est un héros ordinaire, un jeune homme de dix-huit ans, volontiers chimérique, qui se paye d’idées romantiques sur l’amour et l’amitié. Le contraste avec André, jeune homme réaliste, voire cynique, qui jouit de la fascination qu’il a appris à exercer sur autrui est patent.
Point de morale cependant, martelée à grand coup de plume. Enjeu de l’amour que lui vouent chacun à leur tour les deux jeunes gens, Varia offre le portrait sensible d’une jeune fille à marier condamnée à la passivité. Entre un père vulgaire, un amant raffiné (André) qui ne songe qu’à prendre du bon temps auprès d’elle et un amoureux exalté (Nicolas, le narrateur), qui l’abandonnera lâchement, Varia est insensiblement expulsée de l’histoire dont elle aurait dû être l’héroïne. Quand l’histoire se referme nul ne peut dire ce qu’aura été finalement son destin:
– Et Varia, qu’est-elle devenue? demanda quelqu’un.
– Je ne sais pas, répondit le narrateur.
Chacun se leva, et nous nous séparâmes.
Ce que j’aime chez Tourgueniev, c’est cette saveur douce-amère du récit.
10 réflexions sur « Ivan TOURGUÉNIEV: André Kolossov »
…douce amère , apparemment … Mazette, trois tomes dans la Pléiade ce n’est pas rien ! Je crois bien ne jamais avoir lu Tourguéniev, honte à moi (j’ai de très grosses lacunes du côté des russes, de toute façon) … Tes billets sont rares 😉 ils n’en sont que plus attendus !
Meilleurs vœux pour une année particulièrement féconde en très belles lectures, cher Cléanthe :-))
C’est un plaisir de se savoir ainsi attendu ;)! Merci pour ton gentil commentaire Je vais me faire un peu moins rare avec cette nouvelle année. Les deux derniers mois ont été un peu difficiles en effet et je n’ai pas eu le temps de revenir ici aussi souvent. Mais c’est du passé. Je te souhaite moi aussi une nouvelle année, en t’annonçant notamment plein de billets russes à suivre: combien de temps tiendras-tu sans plonger dans un récit de Tourguéniev?
Je n’ai jamais lu Tourguéniev non plus, mais la forme me fait un peu penser aux nouvelles et courts romans de Maupassant.
Tu as raison. Je crois que Tourguéniev à marque toute la littérature réaliste du XIXeme siècle.
Ce Tourguéniev semble avoir de sacrés atouts pour me plaire ! Je ne l’ai jamais lu encore (comme tu disais chez moi, il y a tant de livres, tant d’auteurs…) mais ses deux textes que tu présentes me rendent assez curieuse.
J’ai trouvé ta réflexion sur la relecture très amusante car j’ai lu, il y a peu, un essai sur la relecture, une enquête disons, d’où il ressortait que de nombreux lecteurs ne retrouvaient pas toujours le choc ou le charme de leur première lecture en relisant un livre.
Pour commencer, je te conseillerais bien Premier amour, lu deux fois à vingt ans de distance, qui m’a enchanté les deux fois, mais pour des raisons différentes. Et oui, la relecture… 😉 Depuis, je suis tenté de me plonger davantage dans cet auteur. Et je dois t’avouer que je ne suis pas déçu. D’ailleurs, je tarde un peu à mettre mes billets en ligne.
Premier amour, tu penses ? Parce que moi j’ai un petit souci avec les histoires d’amour, surtout si c’est un béguin d’adolescence (j’ai lu ton billet, notre narrateur a 16 ans… hmmm). Mais bon, je veux bien suivre ton conseil pour cette fois.:-)
Rien de mièvre, ne crois pas. C’est même le contraire. N’oublie pas que Tourguéniev est une sorte de Maupassant russe. J’espère en tout cas que tu aimeras. Je joue un peu ma crédibilité là-dessus 😉
Même expérience que toi pour Premier amour! Plein de billets russes? Tous de Tourguéniev ou non? annonce-nous le programme!
Oui Tourguéniev essentiellement. Mais je suis plongé aussien ce moment dans les poèmes de Mandelstam. Je pense profiter de cet hiver russe pour découvrir aussi le prix Nobel 2015, Svetlana Aleksievitch. Et, pourquoi pas un « petit » Tolstoï. Enfin, plutôt gros le Tolstoï puisqu’il s’agit tout simplement de venir à bout de Guerre et Paix, commencé il y a déjà plusieurs mois.