Maryse CONDÉ: Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem

Maryse CONDÉ: Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem

“Fille de l’esclave Abena violée par un marin anglais à bord d’un vaisseau négrier, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Son mariage avec John Indien l’entraîne à Boston, puis au village de Salem au service du pasteur Parris. C’est dans l’atmosphère hystérique de cette petite communauté puritaine qu’a lieu le célèbre procès des sorcières de Salem en 1692. Tituba est arrêtée, oubliée dans sa prison jusqu’à l’amnistie générale qui survient deux ans plus tard. Là s’arrête l’histoire. Maryse Condé la réhabilite, l’arrache à cet oubli auquel elle avait été condamnée et, pour finir, la ramène à son pays natal, la Barbade au temps des Nègres marrons et des premières révoltes d’esclaves.” (4e de couverture)

J’ai lu Tituba dans la foulée de lectures de début d’été, consacrées à Maryse Condé. Après les deux volumes de son autobiographie, j’avais prévu de poursuivre avec Ségou, mais le temps n’a pas suivi, et l’été m’a conduit vers d’autres découvertes. Il me restait à mettre en forme ce billet, qui s’est perdu aussi dans les activités estivales. Le roman de Maryse Condé est pourtant une œuvre marquante, forte, prenante. La grande écrivaine guadeloupéenne y ressuscite la figure historique de Tituba, l’une des premières femmes accusées de sorcellerie lors des procès de Salem en 1692, et surtout, elle lui donne une voix. Revisitant cette figure oubliée, invisibilisée, Maryse Condé y mêle subtilement faits historiques et fiction, tout en livrant une réflexion sur les oppressions multiformes : l’esclavage, le sexisme et les discriminations religieuses. L’impression qui en ressort est celui d’un grand livre, un peu âpre parfois, mais à la mesure justement de son sujet, dans la veine des grandes voix noires américaines, je pense à Toni Morrison, notamment.

Le personnage de Tituba, une esclave noire originaire de la Barbade, est central dans l’œuvre. Fille d’Abena, violée lors de la traversée des esclaves, elle est orpheline et élevée par Man Yaya, une guérisseuse qui l’initie aux pratiques du vaudou et aux pouvoirs des plantes. Cette initiation façonne son identité de guérisseuse, rôle qui sera à la fois sa protection et sa malédiction. Partie aux Etats-Unis, accusée de sorcellerie par la communauté puritaine de Salem, en proie à l’hystérie religieuse, elle incarne une femme résiliente, luttant contre un monde dominé par l’obscurantisme, la superstition et le fanatisme.

La première personne qui s’annonce dès le titre (“Moi, Tituba…), permet à Tituba de se réapproprier son histoire. À travers cette voix singulière, Condé dépeint une femme impétueuse, sensuelle, et amoureuse de la vie malgré les tragédies qu’elle traverse. En tant qu’amoureuse passionnée de John Indien, puis victime des tortures, des fausses accusations et de l’enfermement, Tituba conserve une humanité qui fait d’elle une héroïne moderne, représentative de toutes les oppressions. J’y ai retrouvé des échos de l’écrivaine, de son rapport aux hommes, qui l’on attachée parfois, à une sensualité énoncée dans une langue crue, résolument féminine, qui ose dire son désir, en même temps que ce goût farouche de liberté qui faisait tout le prix du portrait que Maryse Condé donnait d’elle-même, et notamment de ses années africaines, dans La Vie sans fards.

Le roman est aussi l’occasion pour Maryse Condé d’explorer des thèmes tels que celui de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, dont elle montrait dans Le Cœur à rire et à pleurer que sa propre famille, comme beaucoup de guadeloupéens de leur génération ne l’abordait jamais. Tituba devient ainsi une porte-parole des minorités, que ce soient les Noirs, les femmes ou encore les Juifs, et incarne un puissant symbole de résistance face à l’oppression. Le lien entre la sorcellerie, la résistance et les minorités persécutées est mis en avant dans un contexte de barbarie institutionnalisée, où les femmes, toujours premières victimes, subissent violences, trahisons et humiliations. En faisant coexister le folklore des Caraïbes avec le rigorisme religieux puritain de l’Amérique coloniale, Maryse Condé trouve en outre à créer un contraste puissant servant à dénoncer des systèmes d’oppression qui perdurent. Entre récit historique et conte initiatique, elle produit ainsi un de ces portraits dense, âpre, puissant, à la fois séduisant et contrasté de ces Amériques, dont les écrivains de ces rives de l’Atlantique ont résolument le secret.

2 réflexions sur « Maryse CONDÉ: Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem »

  1. J’ai adoré ce roman, un sacré personnage, oui.. de Maryse Condé, j’ai aussi lu et beaucoup aimé La migration des cœurs (où elle revisite l’histoire des Hauts de Hurlevent à la caribéenne) et La femme cannibale. J’aimerais lire Ségou aussi, un jour…

    1. Je ne connais pas La migration des cœurs. Cette relecture de Brontë me tente bien. La femme cannibale et Segou sont à mon programme de lecture… qui s’allonge chaque jour davantage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.