Joël SCHUERMANS: Vers Varsovie. Une errance ferroviaire

Joël SCHUERMANS: Vers Varsovie. Une errance ferroviaire

“Varsovie traîne depuis longtemps dans mon imaginaire de voyageur. Enfant, dans le vieil atlas routier européen cédé par mon père, lors de la préparation d’une exploration imaginaire, je ne sais pour quelle raison, ce nom, je l’avais entouré d’un double rectangle fait au marqueur rouge épais…” Ce nom, Joël Schuermans va s’efforcer de le rejoindre. Car comme il y a toujours un train qui passe à deux pas de chez soi, surtout quand on habite comme l’auteur une grande ville comme Liège, rien de plus facile que de sauter dans un train, et s’efforcer, surtout quand on aime prendre le temps des changements de quais et des tortillards qui s’arrêtent de gare en gare, de rejoindre la destination rêvée.

Joël Schuermans expérimente une forme particulière de voyage: l’errance ferroviaire. L’expérience du voyage en train, jusque dans son inconfort, semble être le vrai objectif du voyage. Reliant d’un trait Liège à Varsovie, via Berlin, puis retour via Prague et Nüremberg, c’est au plaisir d’un aller-retour que s’adonne ici Schuermans. Un aller-retour vers une destination rêvée, histoire peut-être de mesurer que les noms de ville et de pays sont pour l’essentiel dans nos têtes. Des noms qui font rêver donc, mais qu’il ne prend pas le temps d’explorer au-delà de quelles heures entre deux trains. Peut-être est-ce une façon de refuser le tourisme, et le consumérisme qui l’accompagne. En tout cas ce voyage en train conduit à une forme d’expérience du dénuement qui, dans sa radicalité, n’est pas inintéressante.

A Varsovie, il ne passe que quelques heures – le temps cependant de remarquer le dynamisme et la modernité de la ville, bien loin des images qu’il s’était faites du pays. Puis départ pour le sud, à la frontière avec la Slovaquie, dans les Carpates polonaises. Sauf que Zakopane n’est pas un bout du monde, mais une destination de voyage courue, une station pour loisirs de montagne, une sorte de Chamonix polonaise fréquentée en nombre par la classe moyenne du pays! Et puis retour sur Cracovie – où il ne prend même pas la peine de s’arrêter!, préférant grimper dans un train pour Prague – la ville le déçoit!, avant le retour via Nüremberg – ville superbe où il ne s’arrête toujours pas, et Siegen – carrefour ferroviaire au centre de l’Allemagne, où il n’y a rien d’autre à faire que de passer les quelques heures à attendre le prochain train à dormir un peu sur un banc. Quelques bières pour tenir le coup. Des lectures. L’errance n’est pas le voyage touristique, il n’y a pas à dire!

Certes, j’ai moins aimé ce Vers Varsovie, ce récit d’un voyage en Pologne, aperçu pour l’essentiel à travers la vitre d’un compartiment de train – autant dire que l’auteur-voyageur n’en voit pas grand chose! – que je n’avais apprécié son Vers Syracuse. Je n’y ai pas retrouvé cette belle évocation des sensations qui faisait tout le charme de son périple italien. Mais je me suis laissé porter une fois de plus par cet éloge de la distance, de la lenteur, d’une forme de dénuement ou de précarité. Et les lectures qui l’accompagnent, dont Schuermans donne une bibliographie succincte à la toute fin de son volume.

“L’heure avance, la nuit s’incruste. Ce Mc Donald, lieu artificiel et symbole du tout à l’argent, se transforme à Magdeburg, en un refuge pour tous les errants que le mal-être engendré par l’existence ordinaire empêche de dormir; étrange pied de nez. Hypnotisé par les lumières criardes et la décoration qui n’existe que dans ces fastfoods, je réfléchis au pourquoi de ma présence, à ce qui me pousse à venir me perdre ici dans le fin fond de l’Allemagne, que je n’affectionne pas particulièrement, pour rejoindre Varsovie et en repartir aussitôt arrivé. Je ne trouve pas de réponses si ce n’est peut-être que ma vie est là, dans ces moments de doute, dans ces déracinements, dans ces pertes de repères, dans cette neutralisation de mes ennemis de toujours : l’inaction et la routine, qui si elles ne nous tuent pas, nous rongent et nous amènent à la vieillesse,sournoisement.

[…]

Vagabonder dans une gare déserte est une expérience à tenter. Un peu d’aventure, de doute et de précarité, pas inintéressant. Face à nous, un convoi de fret dont le moteur de la locomotive de tête tourne en sourdine pendant que les wagons s’ajoutent un à un pour bientôt former une file s’étendant jusqu’à la pénombre de l’extrémité de la gare. Où vont donc ces tonnes de marchandises? Je les accompagnerais volontiers, en clandestin, pour des satisfactions inconnues. Un jour…”

Joël Schuermans, Vers Varsovie. Une errance ferroviaire, éditions Partir Pour, coll. “Errances”, pp.26-29

4 réflexions sur « Joël SCHUERMANS: Vers Varsovie. Une errance ferroviaire »

  1. « L’errance ferroviaire » – une expression qui fait rêver ! Je pense que ce livre plairait à Patrice qui a récemment entrepris un voyage (un peu compliqué) en Pologne en train 🙂

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