Sur la terrasse

Publié par Cléanthe le

Je poursuis ma découverte émerveillée de Robert Walser. Et tandis que je continue la lecture des Enfants Tanner, à petit pas, presqu’en flânant, comme il convient pour goûter aux charmes discrets de cet immense poète du quotidien, je me suis lancé aussi dans un recueil de ses textes courts, qui a suffi pour le coup à réjouir mon week-end. Tout Robert Walser en une page! C’est simple, pur, ça ne tient presque à rien. Et pourtant le moment est là, unique, l’impression tellement discrète qu’on oublierait l’art de la recréation poétique, magistrale. Difficile de parler de tels textes. Je crois en tout cas que Robert Walser est en train de rentrer pour moi dans cette liste très précieuse d’auteurs à emporter sur l’île déserte, à côté de Proust, Woolf et Sôseki à qui sa prose me fait souvent penser pour des raisons diverses…

C’était un jour quelconque. Je ne peux pas dire l’heure avec précision. Je me trouvais sur une sorte de terrasse taillée dans la roche et, appuyé sur la simple balustrade, je regardais dans la douce profondeur. Il commença alors à pleuvoir à flots, d’une pluie tendre et caressante. Le lac changeait ses couleurs, le ciel était dans un émoi merveilleux et doux. Je m’abritai sous le toit d’un petit pavillon qui se trouve sur le rocher. Toute la végétation fut bientot détrempée. En bas, dans la rue, quelques personnes s’étaient réfugiées sous le feuillage dense des marronniers comme sous d’amples parapluies. Cela avait l’air si étrange que je ne pouvais me rappeler avoir jamais vu quelque chose de pareil. Pas une seule goutte de pluie ne pénétrait la masse compacte des feuilles. Le lac était en partie bleu et en partie
gris obscur. Et dans l’air, cette chère et si agréable rumeur d’orage. Et cette douceur partout. J’aurais pu rester là des heures et me délecter de la vision du monde. Finalement, je m’en allai quand même.

Robert Walser, « Sur la terrasse », in Retour dans la neige, traduction Golnaz Houchidar, Zoé, 1999

Extrait publié dans le cadre des Feuilles allemandes.


5 commentaires

nathalie · 12 novembre 2019 à 13 h 08 min

Message compris : j’ajoute cet auteur à la liste des « kilfolire », liste qui est heureusement inépuisable ! Les extraits que tu cites sont très beaux.

    Cléanthe · 12 novembre 2019 à 22 h 00 min

    Tout Robert Walser est de ce niveau! C’est ce qui en rend la lecture si délicate, si fragile. Je crois que c’est un auteur qui doit se lire lentement.

Flo · 12 novembre 2019 à 16 h 27 min

Walser est sur mes tablettes depuis longtemps sans trop de motivation mais à force de lire tes billets, je l’ai inscrit à mes lectures pour l’an prochain.

    Cléanthe · 12 novembre 2019 à 22 h 01 min

    Je suis content que ces extraits te motivent finalement. Tu verras, c’est un auteur qui mérite vraiment qu’on s’y attarde.

Eva · 22 novembre 2019 à 10 h 31 min

C’est aussi une belle traduction ! Je note Retour dans la neige, merci pour ce partage.
Bonne journée

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