Pierre MICHON: Rimbaud le fils
Pierre Michon est un auteur, dit-on, qui publie peu. Un texte tous les trois ou quatre ans, parfois plus, court, dense, ciselé. Malicieux, l’auteur aime suggérer sa parenté avec Léonard: comme lui des oeuvres rares, mais géniales, définitives. Il y en a que ce manque de modestie insupporte. Qu’on y réfléchisse cependant. Au delà de la vanité impudique d’un auteur qui se livre peu et qui ne peut être en l’occurrence que jouée, l’une de ses chausses-trappes dont Pierre Michon aime à menacer ses lecteurs, ce piège qui masque l’essentiel, il y a une parenté très profonde entre les deux artistes: comme Léonard, Michon est l’un des maîtres de l’art du portrait en même temps que, comme Léonard encore, l’auteur de quelques portraits subtils qui sont des manières de réflexion sur les possibilités de l’art du portrait, une synthèse et un essai de dépassement des formes traditionnelles du portrait. Pas un biographe, un portraitiste. Témoin, ce Rimbaud le fils.
C’est un texte magnifique, moins magistral peut-être que Les Onze, mais plus efficace aussi: comme dans une galerie de tableaux, les portraits de ceux qui ont approché Rimbaud fournissent le moyen d’un récit pour ainsi dire oblique de la vie du poète en même temps qu’une manière de réflexion sur les formes de la dévotion rimbaldienne contemporaine. Comme Léonard, Michon a bien compris, que le portrait n’est pas cet art mondain, prosaïque, mais une manière de peinture religieuse détournée, approchant la forme moderne du sacré:
« Vous avez vu ces hommes: vous avez interrogé leurs portraits dans la petite iconographie canonique; et feuille après feuille ces regards qui se sont posés sur la poésie personnellement ont bondi de la page vers vous. Page après page sous ces regards opaques vous vous êtes demandé ce que c’est qu’un témoin. »
Bien sûr, Michon parle ici d’Izambard, de Banville, de Verlaine, et des poèmes même de Rimbaud, de tous ces personnages qui sont convoqués dans son récit pour essayer de nous livrer en vain quelque chose de la vérité de Rimbaud. Mais ne dirait-on pas que ce commentaire est ciselé pour parler tout autant du beau visage fermé de Marie tenant sur ses genou le Christ bébé jouant avec Jean-Baptiste dans la Sainte Conversation de Carpaccio, des yeux mi-clos de Jean penché sur la douleur de Marie dans la Crucifixion du Retable d’Issenheim de Grünewald, de la théâtralité de la Cène de Philippe de Champaigne qui oppose la présence dramatique, pour ainsi dire jouée des acteurs à l’intense présence de la figure du Christ recueillie qui suggère que la vérité de l’action se joue ailleurs, dans une forme de relation invisible qui échappe à la théâtralité du monde et de la dévotion? Cette forme de présence au sacré qui est comme une absence, nulle part nous n’en faisons mieux l’expérience que dans l’art du portrait.
Un texte à lire donc… et à relire. Et l’un des coups de coeur de cette année.
3 réflexions sur « Pierre MICHON: Rimbaud le fils »
Ah ! à la lecture de ton billet, je regrette de ne pas avoir acheté et fait dédicacé cette « bio » au salon du livre…
Merci pour ce billet, je n’ai pas lu ce livre mais je l’avais remarqué déjà en librairie et comme j’aime bien Rimbaud. Je suis très tenté de lire cet ouvrage ! Il me permettra de découvrir
l’écriture de Pierre Michon 😉
@Alice: bonne lecture. Je lirai ton billet avec plaisir.