Ray BRADBURY: Chroniques martiennes
2030. La première fusée part pour Mars, marquant le début d’une nouvelle ère. Sur Mars même, une civilisation finissante, vit ses derniers jours, auprès des vestiges de cités merveilleuses, au bord de mers à sec, dans un paysage que les Martiens ont jadis sillonné de canaux. La rencontre entre Terriens et Martiens se fera-t-elle? Pas vraiment. Les premiers Terriens sont ignorés des Martiens. Puis, la présence humaine se développant, c’est une épidémie qui décime la population martienne, condamnant les rares survivants à se réfugier loin des humains, cependant que les premières villes terriennes se développent, dans une réplique de la Terre, faisant de ce nouveau monde que les humains ignorent et detruisent un monde à leur image…
Pour ce 3e rendez-vous du défi Objectif SF 2025, et dernier jour du challenge martien de Dasola, j’ai choisi un classique – je devrais dire un ultra-classique de la SF, un des rares titres peut-être que même ceux qui n’ont jamais rien lu dans le genre ou pensent ne pas l’aimer ont lu… et que je n’avais pourtant toujours pas lu! Il faut dire que Les Chroniques martiennes, publiées en 1950 par Ray Bradbury, n’est pas un simple récit de colonisation de la planète rouge, mais une fresque poétique et philosophique sur l’humanité, ses espoirs, ses peurs, ses contradictions. Un classique donc, et un très beau livre.
La forme du récit peut surprendre, même si on la retrouve dans d’autres livres de SF de la même époque (je pense par exemple aux premiers volumes du cycle de Fondation d’Asimov). En lieu et place d’un roman linéaire, Ray Bradbury offre en effet une collection de nouvelles interconnectées, racontant différentes étapes de la conquête de Mars par les Terriens. Cette forme originale, avec sa touche impressioniste caractéristique, contribue pour beaucoup au charme du livre. La rencontre avec les Martiens, les désillusions des colons, la solitude, la destruction de civilisations et la nostalgie d’une Terre en proie à ses propres tourments: chaque récit met en lumière un aspect de l’exploration, cependant que sur Terre l’humanité poursuit son œuvre d’autodestruction, de la mise en place d’un régime totalitaire à la vitrification de la guerre nucléaire. Au premier, qui n’est pas sans évoquer celui de Farenheit 451, l’autre grand succès de l’auteur, et sa politique de destruction systématique des livres, de l’imaginaire, Bradbury offre un amusant contrepoint – Usher II– à la chute en forme d’hommage aux histoires d’Edgar Poe. L’évocation de la fin nucléaire donne lieu à une très poignante nouvelle, Viendront de douces nuits, vision saisissante d’un monde qui continue à tourner tout seul, sans les hommes qui l’ont conçu pour leur confort, disparus au milieu de leurs activités quotidiennes, lorsque la Bombe a explosé.
Car sous couvert de science-fiction, Bradbury propose une critique sociale et politique acerbe: critique de l’impérialisme, de la xénophobie, de la destruction écologique, du progrès technologique incontrôlé. Cette conquête de Mars, il faut dire, n’est pas sans rappeler d’autres moments de l’Histoire, notamment américaine: la conquête de l’Ouest par exemple. Loin d’être un éloge de la conquête spatiale, Les Chroniques martiennes pointe ainsi du doigt la tendance humaine à répéter les mêmes erreurs, quel que soit le terrain de jeu. Ajoutons à cela un style lyrique et souvent imagé. On comprend que ce livre soit à part dans l’histoire de la SF. Et que son audience ait pu dépasser celle des amateurs du genre.
Le mois prochain (c’est-à-dire demain!), plongée dans un univers de SF beaucoup plus contemporain. Mais cela, c’est déjà une tout autre histoire.


8 commentaires
tadloiducine · 31 mars 2025 à 22 h 16 min
Bonsoir Cléanthe
Merci pour cette participation de dernière minute mais bien dans les délais pour être prise en compte!
Pour ma part, c’est à l’occasion de ma lecture de Central station (de Lavie Thidar) que j’avais découvert le terme de « fix-up », qui désigne les ouvrages à base de nouvelles d’abord rédigées et publiées isolément avant d’être regroupées (et éventuellement un peu retravaillées) pour constituer un livre suivi (mais parfois un peu disparate). Les chroniques martiennes de Ray Bradbury, j’en avais tiré un billet, où je parlais des deux éditions successives (révision de la chronologie) qu’elles ont connues, dans le cadre de mon premier « challenge de la planète Mars ». Et c’est pour le présent « challenge marsien (2e édition) » que j’ai découvert et visionné l’adaptation en mini-série TV qui en a été tirée dans les années 1979-1980 (trois épisodes de 90 mn chacun, avec Rock Hudson comme personnage-témoin et fil conducteur). Un peu « kitch », mais original comme adaptation…
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Cléanthe · 1 avril 2025 à 11 h 53 min
J’ai dû voir cette série il y a très longtemps. La technique du « fix-up », qui donne parfois des livres bizarrement conçus, me semble plus qu’un artifice dans les Chroniques martiennes. Elle donne au livre ce ton si singulier qui confronte l’humanité à sa propre incapacité à faire histoire autrement que sur le mode de l’accaparement et de la destruction. Vision contrastée par le style poétique de Bradbury qui ouvre justement le lecteur à ce spectacle merveilleux d’un monde que les personnages ne savent ou ne veulent pas voir.
je lis je blogue · 1 avril 2025 à 6 h 21 min
J’ai lu ce recueil au collège et je ne m’en souviens pas très bien. Tu donnes envie de le relire. NB: je viens de découvrir le terme de « fix-up »
Cléanthe · 1 avril 2025 à 11 h 55 min
Je crois que ce recueil gagne en effet à être relu à l’âge adulte pour en saisir toute la subtilité.
Sandrine · 1 avril 2025 à 6 h 48 min
Merci pour cette participation. En te lisant, je me rends compte que j’ai beaucoup oublié de ce recueil qui tranche sur la production américaine de ces années-là. A relire sans doute.
Cléanthe · 1 avril 2025 à 11 h 57 min
Si tu le relis, je lirai volontiers ton billet. Merci en tout cas, une fois de plus, pour l’idée de cette année consacrée à la SF. Ce rendez-vous mensuel est une belle occasion de me plonger, ou me replonger, dans une littérature que j’ai beaucoup pratiqué à une époque, mais dont je m’étais un peu éloigné.
keisha · 1 avril 2025 à 7 h 49 min
Hé bien je croyais l’avoir lu, finalement c’est l’homme illustré dont je me souviens. Bref, un titre à tenter! Je n’ai même pas lu non plus Fahrenheit
Cléanthe · 1 avril 2025 à 11 h 59 min
Alors, il faut le lire! Mais surtout Farenheit, que j’ai préféré encore. L’homme illustré est dans le gros volume que vient de publier Gallimard. Possible que je cède à la tentation…