Carlo GOLDONI: La famille du collectionneur
Emmanuel-Philibert, un noble en difficulté financière, doit épouser Dorothée, une bourgeoise fortunée. Cette union, plus motivée par l’argent que par l’amour, déclenche de nombreuses tensions, notamment avec Isabella, la mère du jeune noble, qui refuse d’accepter sa belle-fille roturière. Mais pendant que la famille s’affronte sur des questions de lignage et de statut, Anselme, le père d’Emmanuel-Philibert, ne se préoccupe que d’une chose: sa collection d’antiquités. Aveuglé par sa passion, il investit une grande partie de la dot de Dorothée dans des objets dépourvus de valeur, escroqué par son propre serviteur Sylvio et son complice Gigi, qui orchestrent une arnaque habile pour profiter de sa crédulité…
Il y a près d’un an, un séjour à Venise m’avait donné envie de me pencher plus avant sur l’oeuvre de Carlo Goldoni, dramaturge italien emblématique du XVIIIe siècle, considéré comme le rénovateur de la comédie italienne. Même si l’essentiel de son oeuvre a été produite à Paris, où Goldoni dirigea la Comédie-Italienne, après l’échec relatif de ses tentatives de rénovation théâtrale, chez lui, à Venise, on considère qu’il a à lui seul révolutionné le théâtre italien en abandonnant les codes de la Commedia dell’Arte, ce genre burlesque basé sur l’improvisation et les personnages stéréotypés. Inspiré par la société de son époque, le théâtre de Goldoni met en scène des personnages aux caractères nuancés, souvent issus de la noblesse et de la bourgeoisie, qui illustrent avec humour les tensions sociales de son temps. La Commedia dell’Arte, apparue au XVIe siècle, reposait en effet sur des canevas simplistes et des personnages caricaturaux comme les valets rusés (les zanni) ou les vieillards ridicules. Les acteurs improvisaient leurs dialogues et portaient des masques, ce qui limitait l’expression des émotions. Malgré son succès populaire, ce théâtre restait donc figé dans ses conventions. Abandonnant les masques, écrivant les dialogues et donnant une psychologie plus réaliste aux personnages, inspirés de la société de son époque, Goldoni privilégie des comédies plus subtiles où chaque personnage, qu’il soit noble, bourgeois ou serviteur, joue un rôle inscrit dans la dynamique sociale de son époque. Le tournant qu’il a su imposer au théâtre est donc résolument réaliste. Il marque le passage d’un théâtre de farce à une véritable comédie de mœurs, ouvrant la voie au théâtre moderne.
Dans La Famille du collectionneur, qui tient cependant encore beaucoup de la farce, Carlo Goldoni dresse ainsi un portrait enlevé et ironique de la société de son époque, où la noblesse et la bourgeoisie se confrontent dans un jeu d’intérêts, de statuts et de préjugés. Histoire de mariage et d’escroquerie, la comédie met en lumière les tensions sociales qui traversent le siècle: la noblesse, autrefois toute-puissante, peine à maintenir son rang, tandis que la bourgeoisie acquiert une influence grandissante grâce à son dynamisme économique. A mesure que les nobles s’appauvrissent, ils se voient contraints de contracter des mariages d’intérêt avec des roturiers fortunés. Dans la pièce, Dorothée incarne cette nouvelle réalité sociale. Son père, Monsieur Valmy, illustre quant à lui la figure du bourgeois sage et pragmatique. Contrairement aux nobles, il fait preuve de raison et de discernement : c’est lui qui finit par réconcilier les femmes de la maisonnée et démasquer les escrocs qui abusent d’Anselme.
On a parfois comparé Goldoni à Molière ou à Marivaux. Il est vrai que dans cette comédie, les serviteurs ne sont pas de simples figurants : ils jouent un rôle clé dans la dynamique des rapports de pouvoir. Sylvio et Gigi incarnent ainsi des domestiques rusés et opportunistes, prêts à duper leur maître pour s’enrichir. Quant aux femmes de la maison, elles ne sont pas en reste. Isabella et Dorothée passent leur temps à se disputer, chacune s’accrochant à son statut et à sa fierté. Leur querelle est attisée par Agatha, une servante sournoise qui tire profit de leurs désaccords.
Avec La Famille du collectionneur, Goldoni dépeint donc une société en pleine mutation, où la lutte des classes ne se résume pas seulement à un conflit entre riches et pauvres, mais à une redéfinition de la valeur individuelle. Le sang noble ne suffit plus à garantir un statut; l’argent et la raison prennent une place centrale. Et comme la pièce est légère, on s’amuse plutôt à la lire. Je ne dirai pas cependant que j’ai été complètement conquis. Comme je le disais plus haut, cette Famille du collectionneur tient encore beaucoup de la farce. Et ce n’est pas le genre que je préfère au théâtre, même si Goldoni y épingle efficacement tous les petits aveuglements de la passion: pour l’argent, le pouvoir, les objets de collection… Je continuerai en tout cas avec des pièces plus ambitieuses cette découverte réjouissante du dramaturge vénitien, notamment Le Café, dont les premières pages m’ont semblé très prometteuses.
1 commentaire
je lis je blogue · 2 mars 2025 à 9 h 43 min
Je connais Goldoni de nom mais sans l’avoir jamais lu. Il faut vraiment que je me décide à lire davantage de théâtre !