Peter STAMM: Paysages aléatoires

Peter STAMM: Paysages aléatoires

Kathrin est une jeune employée des douanes, dans un petit port au nord de la Norvège. Là, elle mène sa vie entre les inspections des navires, son fils, les visites à sa mère, les promenades à ski, le troquet du village et des relations amoureuses qui ne sont pas folichonnes. D’un premier mari, Helge, un ouvrier de la conserverie, alcoolique, qu’elle a quitté rapidement, elle a eu un fils. Elle s’est remariée ensuite avec Thomas, un cadre de la conserverie, sans l’aimer vraiment. Mais Thomas est gentil et son fils l’apprécie. Après le mariage, Thomas ne tarde pas à prendre possession de sa vie, cherchant incidemment à la remodeler à son image. Bientôt, la jeune femme étouffe. Quand elle découvre que tout ce que Thomas lui a raconté sur lui repose sur des mensonges et qu’une lettre accusatrice vient la toucher dans son intimité, elle monte dans l’Express Côtier et s’en va loin à la recherche d’une nouvelle vie. Une vie vers le sud. Cependant Kathrin n’est jamais descendue au sud du cercle polaire…

J’ai découvert Peter Stamm l’an dernier, à l’occasion des Feuilles allemandes. C’est encore ce rendez-vous qui, me reconduisant vers un de ses livres, a confirmé mon goût pour cet auteur suisse. Et pourtant, comme je l’écrivais l’an dernier déjà je crois, qu’il est difficile de parler d’un tel livre. La trame tient à très peu de choses: une femme, mariée trop jeune, qui élève seule son enfant, aidée par sa mère dans une petite ville au nord du cercle polaire, et se retrouve un peu perdue; un deuxième mari qui d’abord la rassure, et puis qui finit par prendre possession de sa vie, retirant un à un les objets qu’elle a chez elle, et s’invente une vie, des réussites qu’il n’a pas eues; des beaux-parents, apparemment très pieux, qui finissent par se montrer agressifs et injustes à rebours de la morale de la charité qu’ils prêchent autour d’eux. Par petites touches, Peter Stamm dresse le très beau portrait d’une femme privée d’elle-même. Et puis, quand vient le temps d’errance, qui ouvre la deuxième partie du roman, c’est un autre paysage qui s’ouvre, peut-être plus difficile encore à raconter, parce que pas si différent que cela du premier, une errance mobile après l’errance immobile, la descente vers Bergen, Hambourg, Paris… Nulle aventure là dedans, mais seulement un art des petites touches, des descriptions fugitives, en résonance avec l’errance d’un personnage, une sorte d’avancée immobile, nourrie de paysages, de rencontres.

C’est un art dont il existe d’autres exemples dans la littérature de langue allemande, des œuvres que j’aime tout particulièrement justement: certains textes de Siegfried Lenz, au 19e siècle déjà le sublime Nachsommer d’Adalbert Stifter (où il ne se passe strictement rien, par quoi justement ce texte touche subtilement) et bien sûr Robert Walser, l’un de mes écrivains favoris, compatriote de Peter Stamm, à qui l’écriture de l’ecrivain suisse me fait de plus en plus songer.

« Thomas, après être venu s’installer chez elle, avait lentement pris possession de sa vie et de son appartement. Il avait joué le grand seigneur, avait acheté de nouvelles choses, des choses chères. Ses meubles lui avaient déplu, il s’était moqué de ses livres jusqu’à ce qu’elle finisse par les donner à la bibliothèque, ou les jette tout simplement. Et chaque fois qu’ils rangeaient – et Thomas était un maniaque du rangement -, chaque fois quelque chose disparaissait, jusqu’à ce qu’il ne reste presque plus rien. Des nids à poussière, disait-il. Tu ne les regardes jamais, alors à quoi ça sert. Elle s’était dit que c’était par amour. Elle s’était dit qu’ils se construisaient ensemble quelque chose, alors que Thomas s’était contenté de l’insérer dans sa propre vie. Il avait essayé de la modeler, de l’éduquer jusquà ce qu’elle lui soit conforme, qu’elle cadre avec la vie qu’il avait l’intention de vivre. Jusqu’à ce que son propre appartement lui devienne, à elle, aussi étranger que la grande maison des parents, que lui-même, que la vie qu’elle menait auprès de lui. »

Peter STAMM, Paysages aléatoires (Ungefähre Landschaft, 2001), traduit de l’allemand par Nicole Roethel, Christian Bourgois, 2015

4 réflexions sur « Peter STAMM: Paysages aléatoires »

    1. Si tu aimes les romans où il ne se passe rien, ou presque, et tellement en même temps, ce romancier est pour toi. Et les proses brèves de Robert Walser encore plus.

  1. J’avais été très touché par ce livre et son écriture lors de ma lecture l’an dernier et je suis très heureux de découvrir et de lire ta critique. Un grand merci pour ta participation aux Feuilles Allemandes, ainsi que pour les allusions aux autres auteurs, qui sont d’autant d’incitations à les relire (j’avais beaucoup aimé La promenade, de Robert Walser, par exemple).

    1. Oui, touché, je partage ton sentiment, c’est exactement le mot. L’écriture de Peter Stamm est d’une grande délicatesse, et elle dit merveilleusement, je trouve, les non dits justement, la fragilité des êtres.
      J’aurais aimé être plus présent pour cette édition des Feuilles allemandes, mais je n’ai pas trouvé le temps, hélas. J’avais prévu notamment un roman de Keyserling. Mais ce sera pour l’an prochain!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.