Jurek KUCZKIEWICZ: Pologne. La noblesse de la terre

Jurek KUCZKIEWICZ: Pologne. La noblesse de la terre

« Accoutumés à s’identifier aux drames de leur histoire, les Polonais ont encore de la peine à saisir que leur pays est devenu un grand d’Europe. Quel chemin parcouru pourtant ! À Varsovie, à Cracovie, en Silésie ou dans les coulisses du monastère de la Vierge noire à Czestochowa, la Pologne moderne se conjugue au quotidien avec la nostalgie populaire d’une noblesse rurale, les frustrations nationalistes et religieuses, et un goût effréné de la littérature et des arts… » (4e de couverture)

C’est un petit livre épatant que j’ai mis dans mes valises à l’occasion d’un séjour de quelques semaines en Pologne cet été. Pologne, la noblesse de la terre est une introduction rapide (90p.) mais riche à la Pologne contemporaine, vue à travers le regard de l’auteur, d’origine polonaise, Jurek Kukcziewicz, conseiller du président du Conseil européen. Toujours très personnel, il retrace quelques événements clés de l’histoire de ce pays marqué par les invasions, les partitions et les renaissances, et s’interroge sur son rôle dans l’Europe actuelle.

La façon dont un peuple se rapporte à lui-même est toujours pour moi une chose passionnante à découvrir. Le texte fourmille justement d’anecdotes, de références à ces réalités culturelles. Cela passe aussi par des mots, toujours intraduisibles lorsqu’ils désignent ce fond vécu, senti d’une nation, d’un territoire, d’une ville… Le mythe du pays martyr, et celui associé d’un Est dont le pays fut tronqué après le redécoupage des frontières de 1945 au profit de l’Union soviétique, en même temps que du tiers de sa population, de religion juive, victime du régime nazi, le poids de l’église catholique et de la figure récurrente de Jean-Paul II (que j’ai pu mesurer de visu!), l’attachement des polonais à la terre, avec cette aspiration à posséder un coin de nature, une maison, et un porche typique (ganek), signe d’une nostalgie de l’aristocratie passée (dans un pays où l’aristocratie libérale, terrienne donc et rurale, a joué le rôle émancipateur tenu en Europe occidentale par les bourgeois des villes), un grand sens de l’humour noir et de l’autodérision développé face aux débordements de l’Histoire – autant de sujets abordés à travers des récits, des anecdotes et les mots mêmes de la langue polonaise. Je dois dire que la lecture de ce petit volume m’a appris plein de chose. Et j’en suis sorti enchanté.

L’ouvrage s’inscrit dans une collection intitulée « L’âme des peuples », publiée par les Editions Nevicata de Bruxelles. Je ne connaissais pas la collection, qui a pourtant tout pour me plaire, puisqu’elle s’agit tout justement, à travers des livres concis (une petite centaine de pages comme ici), de capturer l’essence d’un peuple, l’âme d’un pays ou d’une ville. J’ai déjà repéré des titres consacrés à Milan, à la Suisse, au Léman, à Vienne, à l’Albanie. Et certains ont déjà rejoint les rayons de ma bibliothèque.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, trois interviews (deux sociologues et un ancien responsable politique) complètent le propos de l’auteur. Cette formule fait mouche aussi et n’est pas le moins intéressant du livre.

« La diversité retrouvée.

C’est à Przemyśl que j’ai commencé à comprendre la mythologie de l’Est, si chère à la génération de mes parents. La perte de ces territoires a représenté une amputation dont le caractère tangible finit rapidement par s’estomper. Les nouvelles légitimités territoriales supplantent les anciennes plus aisément qu’on ne le pense. Mais la perte de la diversité religieuse, ethnique et nationale qui a structuré et fermenté l’histoire et l’identité polonaises durant des siècles, a sans doute eu des effets plus profonds. Avec l’ablation de cette diversité, l’âme polonaise s’est retrouvée à la fois orpheline d’un paradis perdu et d’une part d’elle-même…

Des initiatives de plus en plus nombreuses cherchent d’ailleurs à désenfouir ce passé. »

Jurek Kuczkiewicz, Pologne. La noblesse de la terre, Editions Navicata, coll. « L’âme des peuples », p.42

5 réflexions sur « Jurek KUCZKIEWICZ: Pologne. La noblesse de la terre »

    1. Oui, le contexte a beaucoup changé. Et le pays. J’ai été frappé cet été, à l’occasion d’un séjour de plusieurs semaines, par le dynamisme du pays, son énergie, la beauté de ses paysages aussi et le travail colossal de rénovation et de modernisation fait dans les villes. On est loin, très loin de l’image d’un pays terne, gris, victime des horreurs de l’Histoire qu’on a hélas trop souvent encore.

  1. Je suis vraiment heureux de découvrir une chronique sur un livre de la collection « L’âme des peuples » que je trouve vraiment très bien faite. J’ai eu l’occasion d’en lire et chroniquer plusieurs (Hongrie, Argentine, Europe, Pays-Bas) et j’apprécie beaucoup le journaliste à l’origine de la création de cette collection – Richard Werly.
    Oui, tout à fait d’accord avec toi, la Pologne est un pays en plein essor. J’y suis allé plusieurs fois ces dernières années et quel changement depuis une vingtaine d’années. Grand bénéficiaire des fonds structurels européens, le pays a su les utiliser pour moderniser ses infrastructures. J’entends d’ailleurs que des entreprises allemandes majeures souhaitent désormais délocaliser en Pologne, non seulement pour son coût de MO inférieur, mais aussi par le niveau de formation de ses jeunes. Un bel exemple de réussite pour un pays qui partait de loin en 1989.

    1. D’accord en tout avec toi. Et cette collection vraiment bien faite m’a aidé à entrer dans l’esprit de cette Pologne décidément bien surprenante. Je me suis procuré d’autres titres de la collection, notamment sur la Suisse, que je connais beaucoup mieux. Chroniques à suivre.

      1. Alors là, je suis curieux. J’avais lu celui sur les Pays-Bas quand nous sommes arrivés dans le pays, mais bizarrement, je n’ai pas encore lu celui sur la Suisse alors que nous y sommes depuis 5 ans désormais.

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