Une main

Une main

Chez un sculpteur, moulée en plâtre, 
J’ai vu l’autre jour une main 
D’Aspasie ou de Cléopâtre, 
Pur fragment d’un chef-d’oeuvre humain; 

Sous le baiser neigeux saisie 
Comme un lis par l’aube argenté, 
Comme une blanche poésie 
S’épanouissait sa beauté. 

Dans l’éclat de sa pâleur mate 
Elle étalait sur le velours 
Son élégance délicate 
Et ses doigts fins aux anneaux lourds. 

Une cambrure florentine, 
Avec un bel air de fierté, 
Faisait, en ligne serpentine, 
Onduler son pouce écarté. 

A-t-elle joué dans les boucles 
Des cheveux lustrés de don Juan, 
Ou sur son caftan d’escarboucles 
Peigné la barbe du sultan, 

Et tenu, courtisane ou reine, 
Entre ses doigts si bien sculptés, 
Le sceptre de la souveraine 
Ou le sceptre des voluptés? 

Elle a dû, nerveuse et mignonne, 
Souvent s’appuyer sur le col 
Et sur la croupe de lionne 
De sa chimère prise au vol. 

Impériales fantaisies, 
Amour des somptuosités; 
Voluptueuses frénésies, 
Rêves d’impossibilités, 

Romans extravagants, Poèmes de haschisch et de vin du Rhin, 
Courses folles dans les bohèmes 
Sur le dos des coursiers sans frein; 

On voit tout cela dans les lignes 
De cette paume, livre blanc 
Où Vénus a tracé des signes 
Que l’amour ne lit qu’en tremblant. 

Théophile GAUTIER, Émaux et Camées, « Etude de main I.Impéria »

5 réflexions sur « Une main »

    1. Cette capacité à saisir poétiquement la beauté des belles choses est en effet unique chez lui, et ce soupçon de fantaisie. Je crois que je n’avais jamais lu ce recueil intégralement: un très beau livre assurément

  1. Pareil, j’ai reconnu Gautier en quelques lignes. La sculpture, le plâtre, l’antiquité, le mystère, c’est son genre… J’avais aimé ce recueil à ma 1e lecture, beaucoup à la seconde. Je vais attendre quelques années avant de retenter.

    1. Je le lis tout doucement depuis une semaine, et c’est un délice, entrecroisé avec d’autres lectures poétiques: Eluard, Aragon, Racine (dont j’ai revu avec beaucoup d’émotion Berenice il y a quelques jours), et Seferis auquel je reviens toujours quand je lis de la poésie.

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