Stephen KING: Salem

Stephen KING: Salem

King, SalemQui n’a jamais rêvé, surtout quand l’automne point, au sortir des dernières chaleurs de septembre et de début octobre, de rejoindre une communauté comme celle de Jerusalem’s Lot, petit cité paisible de Nouvelle Angleterre? A Jerusalm’s Lot, on trouve tout ce qui est utile au confort charmant d’une vie provinciale: des collines aux pentes boisées, des fermes, des demeures anciennes, un drugstore, qui fait aussi office de gare routière, un parc, des écoles, un lycée flambant neuf, un coiffeur, un laitier, une agence immobilière, une pension de famille. On trouve des enfants qui aiment jouer à se faire peur, des policiers qui n’ont pas trop  grand chose à faire, un curé partagé entre l’amour de Dieu et celui de la bouteille. A Jerusalem’s Lot, on trouve aussi un vieille demeure, dominant la ville, une grande bâtisse lugubre où jadis un homme s’est pendu après avoir tué sa femme. Une bâtisse qui n’intéresse pas, hélas, que les auteurs de romans…

Pour la troisième étape de la randonnée d’Halloween organisée par Lou et Hilde dans le cadre du Challenge Halloween, j’avais décidé de me tenir, le plus scrupuleusement possible, à ce qui devait être le mot d’ordre de cette troisième journée:

Etape 3 : Le 15 octobre 2015

Après vos errances bucoliques, voilà qu’apparaît une grille rouillée. Oserez-vous la pousser malgré ses grincements ?

Osez un livre ou un film qui vous fait vraiment peur ! Votre courage sera mis à rude épreuve, vous serez alors fin prêt à aborder les deux prochaines étapes.

C’est une question que je me pose depuis longtemps: est-il vraiment possible d’avoir peur en lisant un livre? Pas d’une peur d’enfant, non, mais en adulte. Peur à épier avec inquiétude autour de soi les ombres de la chambre, le soir, du fond du lit, à sursauter au moindre craquement, à remettre le moment de se lever pour aller boire un verre ou passer aux toilettes, et à bien vérifier en revenant dans les armoires et dessous son lit, bref une peur comme j’ai pu en avoir, mais c’était il y a longtemps, à l’époque aussi où le moindre récit d’aventures était pour moi comme un vrai voyage, où je pouvais tomber amoureux d’une héroïne. On me disait que si je posais la question, c’est parce que je n’avais jamais lu Stephen King. Eh bien! j’ai lu mon premier Stephen King, et je dois dire que je n’ai pas eu peur. Pas vraiment peur du moins, sinon d’une légère tension, qu’on nomme aussi bien le suspense aux moments les plus tendus de l’action. Bref rien de ce que j’appelle avoir peur.

Je n’ai pas eu peur donc, mais j’ai découvert un auteur.

Paradoxalement, ce n’est pas  le récit fantastique qui m’a le plus intéressé, mais la vie d’une petite communauté villageoise, au bord de l’implosion. Le vrai sujet d’ailleurs est là, me semble-t-il, ainsi que dans un jeu, finalement assez intellectuel, avec les formes et les codes du genre. Petite ville typique du nord-est des États-Unis, Jerusalem’s  Lot connait son lot d’horreurs quotidiennes: enfants battus, alcoolisme, relégation sociale, affaires plus ou moins louches, qui se succèdent au début du roman dans quelques scènes courtes, denses. C’est le portrait d’un société à la limite de l’ennui, comme on en trouve dans les romans de Giono, ou comme l’ecrivait Pascal: « un roi sans divertissement est un homme plein de misères. » Alors, pour trouver un dérivatif à l’ennui, un semblant de sociabilité s’installe, des gestes ritualisés, d’où perce la violence parfois, comme dans cette scène hallucinante où le gardien de la décharge se livre à son « divertissement » hebdomadaire qui consiste à tirer sur les rats effrayés par l’incinération des déchets.

Revenu à Jerusalem’s Lot, où il vecu enfant, pour observer la vie villageoise et tâcher d’en tirer un roman qui aurait pour sujet Marston House, la maison du sommet de la colline,  Ben Mears campe un personnage commun, hanté, comme nous le sommes tous, par quelques fantômes: la mort de sa compagne, d’un accident de moto, alors qu’ils cheminaient sur une route glissante, et, ce qui est moins commun, le souvenir d’une scène terrifiante, hallucinée, aperçue dans l’enfance alors que par défi il avait pénètré dans la demeure abandonnée. Ben ne tarde pas à s’intégrer à la vie de la cité, d’autant plus que sa rencontre avec Susan, une jeune femme séduisante, ouvre devant lui de nouveaux horizons.

Sans doute, le talent de Stephen King est de savoir mettre cette première intrigue à distance en distillant un à un des éléments mystérieux, bientôt fantastiques: un chien est retrouvé accroché au portail du cimetière, un enfant disparaît, son frère meurt peu de temps après à la suite d’une étrange anémie, des livreurs sont chargés de véhiculer un coffre arrivé par bateau, de l’étranger, jusqu’à la cave de Marston House… Immanquablement, l’action suit un rituel, dans lequel le lecteur attentif ne peine pas à reconnaître le chef d’œuvre de Bram Stocker, Dracula. Taquin, King multiplié les clins d’œil plus ou moins explicites. Et c’est bientôt une compagnie hétéroclite digne de celle que conduisait  le docteur Abraham Van Helsing qui se forme pour mener une chasse aux vampires d’autant plus inquiétante que le phénomène se développe à la manière d’un processus viral. Ben Mears, l’écrivain, sa fiancée Susan Norton, Matt Burke (clin d’œil au philosophe anglais dont le traité sur le sublime inspira à Ann Radcliffe son esthétique de la terreur?), le professeur de lettres, le docteur Jimmy Cody, le père Callahan, et surtout Mark Petrie, un jeune garçon de douze ans, très vite prévenu de la nature des événements grâce à sa passion pour les récits d’épouvantes dont il collectionne les figurines. Tous n’en reviendront pas bien sûr. Mais je ne vous gâcherai pas le plaisir en vous disant qui. En tout cas tout ce petit monde ne va pas tarder à entrer en action dans un version déprimante – ou déprimée – du roman de Bram Stocker: c’est que les temps sont loin déjà de l’héroïque équipée guidée par Van Helsing. À la lutte contre le mal d’une Angleterre victorienne, sûre d’elle-même et confiante dans l’avenir, Stephen King substitue le motif d’une Amérique qui va mal, une Amérique sonnée par l’expérience militaire de la Corée et du Vietnam, déchue dans son aspiration à la vertu par l’usage de l’arme atomique en 1945, une société où tout craque, comme dans la vieille demeure, sur la colline, qui couve d’un œil diabolique le destin de la communauté. Et voilà comment, du fantastique, l’air de rien, Stephen King nous ramène à une forme de littérature sociale particulièrement efficace. Je le répète, c’est cela que j’ai aimé chez cet auteur, dont je continuerai dorénavant à explorer l’œuvre.

Challenge Halloween 2015

8 réflexions sur « Stephen KING: Salem »

  1. Ton billet me donne grandement envie de lire ce roman. Une réécriture de Bram Stocker plus moderne? Pourquoi pas. J’ai pour ma part aussi aimé Stephen King, mon expérience a été un peu plus angoissante avec Shining. Je lirai bien aussi Les Tommyknockers et La peau sur les os… J’aime le portrait décadent que dépeint si bien Stephen King de son Amérique natale. Dans Shining les personnages n’ont rien d’héroïques et sont d’ailleurs plutôt médiocres, des spécimen de l’Américain profonde selon l’auteur. Sa vision est souvent impitoyable.

    1. Je pense bientôt me lancer dans Shining. Le problème, c’est que je garde dans la tête les images du film de Kubrick, que j’adore. J’ai préféré entrer dans l’oeuvre de Stephen King avec un oeil neuf.

  2. shame on me , jamais lu S.K … il semblerait qu’il faille remédier à celà, si l’on veut t’en croire… cet été j’ai failli acheter Shining , je crois que je vais le faire 😉

  3. Cléanthe = même pas peur! Jusqu’ici je refusais de lire Stephen King parce que j’avais l’impression qu’il cultivait le morbide, l’épouvante, gratuitement; ce que tu nous dis sur la littérature sociale me convainc; je vais essayer de le lire.

    1. Non, justement, ce n’est pas gratuit du tout. J’avais la même impression que toi. D’où la découverte agréable faite à l’occasion de cette lecture, qui au départ n’était qu’une sorte de jeu: lire quelque d’effrayant. J’espère que tu apprécieras.

  4. Je dois être une petite nature mais je ne peux pas dire que j’avais trouvé qu’il y avait « une légère tension » dans ce roman 🙂 Je suis tout à fait d’accord avec toi sur la capacité de King à décrire une communauté, c’est l’une de ses forces (transversale à ses oeuvres – du moins sur une dizaine de lectures environ, je dirais que cela concernait 8 ou 9 récits). En revanche je me souviens avoir été marquée notamment par la visite de la maison du vampire, ainsi que par l’ambiance générale. Je crois que c’est le seul roman de vampires à m’avoir fait retenir mon souffle, hormis peut-être « Riverdream » (très bon roman que je te conseille également), dans un tout autre registre. Je suis ravie en tout cas que ce roman t’ait plu.

    1. Oui, l’ambiance est un peu inquiétante, mais je m’attendais à avoir beaucoup plus peur. J’ai trouvé en tout cas la misère sociale décrite dans certains passages du livre (l’histoire du bébé et de sa mère débordée dans la caravane…) et ce que cela dit de la violence dont les hommes sont capables entre eux beaucoup plus effrayante.

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