Anthony TROLLOPE: Miss Mackenzie
A 35 ans, Margaret Mackenzie fait un bel héritage, qui la propulse brusquement dans une société où elle va pouvoir faire de sa vie ce que bon lui semble. Mais justement, quelle vie souhaite Miss Mackenzie? Celle d’une vieille fille fortunée? Celle d’une épouse? Le mariage sera-t-il pour elle le moyen du bonheur? Mais alors qui choisir parmi les prétendants qui se pressent? Samuel Rubb junior, l’associé de son frère, homme un brin malhonnête, qui finit par tomber sous le charme de la jeune femme? Le révérend Maguire, dont la beauté manifeste, malheureusement abîmée par un strabisme désolant, cache peut-être une âme vile? Son cousin, John Ball, veuf et de dix ans son aîné, dont le goût immodéré pour les affaires financières pourraient bien n’être qu’une ultime pudeur?
J’avais beaucoup entendu parler de Trollope avant cette lecture. Et j’avoue que si j’ai remis pendant longtemps le moment de découvrir cet auteur victorien, naguère un peu oublié, c’est parce que l’intérêt manifeste qu’il suscite chez ceux qui aujourd’hui le redécouvrent grâce à un travail actif de certains éditeurs s’accordait mal avec ce que je savais par ailleurs de cet écrivain. Il faut dire qu’en matière de lectures victoriennes mon goût reste assez limité: si je place Thomas Hardy et George Eliot au sommet de la littérature mondiale, je goûte peu – j’ose à peine le confesser – les « longueurs » de Dickens; et Wilkie Collins ne m’a pas toujours convaincu. Or il se trouve qu’Anthony Trollope a été, dans l’Angleterre victorienne, l’auteur à succès de romans toujours un peu faciles, bien qu’écrits d’une plume virtuose, de belles machines narratives, certes, mais comme composées au fil de la plume, tel ce Miss Mackenzie… que j’ai littéralement ADORÉ. L’histoire de ce roman est très simple: une jeune femme de 35 ans (mais à 35 ans dans l’Angleterre victorienne on n’est plus vraiment jeune) hérite d’une fortune qui lui permet de se consacrer à son bonheur; âme sensible, voire sentimentale, c’est avec plaisir qu’elle accueille les propositions de mariage que sa récente fortune ne manque pas de susciter. Qui Miss Mackenzie acceptera-t-elle d’épouser? Et son bonheur sera-t-il sauf dans l’affaire? Qu’Anthony Trollope puisse tenir plus de 500 pages sur une trame aussi ténue est un mystère. Mais c’est tout son talent. L’humour dont il fait preuve, la place réservée à la comédie sociale, la belle sincérité de caractère qu’il donne à Margaret Mackenzie, tout cela est une franche réussite.
L’intérêt du livre tient sans doute aussi à ce que, l »air de rien, l’auteur y pose de vraies questions. L’argent dont hérite Miss Mackenzie lui offre brusquement une liberté dont elle ne sait pas exactement que faire. Elle part s’installer à Littlebath (pseudonyme romanesque de Bath), parce que c’est une ville provinciale élégante, un lieu de résidence à la mode. Elle s’y laisse conduire un temps par un groupe religieux un brin exalté, mais rompt avec eux dès lors que sa liberté individuelle est menacée par leur fanatisme et aspire secrètement aux joies de l’existence. Entre respect des conventions sociales et revendication des choix individuels, Miss Mackenzie offre un très beau portrait de femme, aspirant à une liberté intégrale dans une société où les femmes sont maintenues dans un état de minorité et où il n’y a traditionnellement que deux issues pour elles: la soumission dans le mariage ou une vie de célibataire fortunée, indépendante, mais ridicule. Le choix de Margaret Mackenzie est le plus difficile à faire: la révélation de soi fondée sur l’amour partagé et non sur la suggestion de l’un ou l’autre, ce qui dans une société où le mariage est une question d’intérêts avant d’être une question de sentiment est une conquête difficile – il faut bien 500 pages pour aborder un tel sujet!
Talentueux satiriste, Anthony Trollope glisse d’amusantes saillies sur les petits défauts de ses contemporains. Jamais définitive, sa critique offre quelques beaux moments de comédie sociale, telles les confrontations successives de Margaret Mackenzie et de Lady Ball, la petite société évangélique de Littlebath, ou la vente de charité animée par des dames de la meilleure société. Tout cela est d’un humour, d’une fraîcheur, d’un esprit de distance vraiment divertissants.
Lecture commune avec Virgule, Lilly, Romanza et Lou
dans le cadre du Mois anglais organisé par Lou et Titine
10 réflexions sur « Anthony TROLLOPE: Miss Mackenzie »
J’ai beaucoup aimé Trollope avec Ayala. Je note celui là 🙂
@Marie et Anne: j’ai noté de mon côté Ayala. Je souhaite revenir assez vite à Trollope.
Désolée de m’être si mal organisée que je n’ai toujours pas fini ce roman ! Je publierai mon billet prochainement mais j’avoue avoir eu besoin de lire autre chose lorsque j’ai vu que de toute façon
je n’y arriverais pas pour le jour-même 🙂 Peut-être que comme tu le disais ailleurs le fait de le lire d’une traite facilite la lecture. Je le lisais pas bribe dans le bus ou le soir avant de me
coucher et ça n’a pas dû aider.
@Lou: je crois en effet que je n’aurais pas pris autant de plaisir si je ne l’avais pas lu d’une traite. J’ai l’impression que Troloppe n’est pas un auteur qui demande de prendre
son temps.
Il est plus que temps que je découvre Trollope 🙂
@Petit spéculoos: j’espère t’avoir donné envie de découvrir cet auteur.
Tu es plus emballé que moi, mais ça a été une lecture très sympathique quand même.
@Lilly: par bien des aspects, c’est un texte facile (quoique le portrait de Miss Mackenzie n’est pas si commun pour l’époque quand même), mais plein d’humour. La raison pour
laquelle on accroche à un livre tient souvent à peu de choses. J’ai apprécié cette trame linéaire. C’était le texte qu’il fallait au moment où il fallait.
Puis-je te suggérer la lecture de « De grandes espérances » qui est l’un des plus court roman de Charlie et où il fait preuve de sobriété ? Je suis comme les membres d’une secte, je ne renonce pas à
te convertir à l’art de Dickens !
@Titine: j’ai peur, hélas, d’être incorrigible, mais j’ai commencé justement De grandes espérances pour la LC prévue en avril dernier, j’ai adoré le début et puis, quand
le héros arrive à Londres, j’ai calé. Mais promis, je le finis cet été. Des fois, je me fais penser à la pauvre Miss Mackenzie, qui s’efforce de partager les enthousiasmes de la petite société
évangélique de Littlebath, mais est toujours rattrapée par ses propres désirs. Heureusement, la secte des amateurs de
Dickens est une secte plus légitime. C’est pour cela que je persévère…