Kenneth GRAHAME: Le Vent dans les saules
Où court donc Mr Taupe en ce jour de printemps où, las du ménage, il quitte sa maison et part à la découverte du monde ? A quoi Mr Rat d’eau occupe-t-il ses journées au bord de sa rivière ? Quel folie menace de saisir le riche Mr Crapeau ? Où loge donc le mystérieux Mr Blaireau ? Les charmes de la campagne anglaise vus du point de vue de bêtes portant veste et culotte, soucieuses de leur confort, est-il moins grand que celui des hommes ? Pour qui s’avance dans le charmant domaine de ces animaux casaniers, c’est le début d’une parenthèse enchantée…
Le Vent dans les saules appartient à cette catégorie de livres rares qui s’imposent comme des évidences, des livres écrits par des auteurs magiciens qui ne semblent pas viser d’autre ambition que le récit, des démiurges discrets qui ont l’élégance, s’ils savent le pouvoir de faire naître un monde de la parole, de ne pas laisser paraître le côté laborieux de leur tâche. Il y a des romans qui font souffler, qui sont comme des pentes ardues ou bien des cathédrales de la pensée. J’aime aussi ces monuments. Mais il y a dans le charme discret de livres tels que le Vent dans les saules quelque chose, comme l’aurait dit un lecteur des siècles passés, qui parle directement à l’âme.
Le talent de Kenneth Grahame est déjà celui de La Fontaine dans ses Fables : ses histoires d’animaux trop humains sont crédibles car dans le même temps ce sont des vrais animaux. Au bord de sa rivière, Mr Rat d’eau est attentif, dans la chaleur d’une belle journée d’été, aux signes précurseurs de l’automne et au grand déménagement migrateur qui se prépare. Mr Blaireau se retire dans son bureau au cours de longues matinées, car tout le monde sait que l’hiver les animaux hibernent. Jamais je n’avais pris autant de plaisir à devenir bête.
Bien sûr, le charme de ces histoires vient aussi de ce que le roman n’est pas seulement une séance de rattrapage pour lecteurs ayant manqué dans leur enfance la lecture des aventures de Jojo lapin ou la visite au bois de Winnie l’Ourson. C’est une très belle histoire d’amitié et un grand récit bucolique. Des amitiés adultes : la dignité, la politesse, la correction dont font preuve Mr Rat ou Mr Taupe sont de pure tradition britannique. La moquerie que risque de s’attirer un Mr Crapeau désopilant qui se vante à tous bouts de champs et se précipite dans les plaisirs est la pire des sanctions qu’il puisse craindre. Mr Blaireau, bienveillant et attentif, mais solitaire, qui se permet quelques grossièretés, mais se montre plein de sollicitude, est digne des portraits offerts dans d’autres romans britanniques de gentilshommes campagnards, bons, mais rustiques.
Le charme bucolique enfin de ce roman n’est pas le moindre des plaisirs qu’il offre à son lecteur. Écrit comme au fil des saisons, il promet à celui qui s’y risque des découvertes enchantées, une nature peinte avec les nuances les plus délicates. Les signes d’un changement de saison, l’évolution des conditions météorologiques donnent de belles visions d’un paysage ressenti. Kenneth Graham fait preuve d’une excellent talent de paysagiste :
« Mr Rat d’eau était inquiet sans trop savoir pourquoi. L’été brillait encore de tous ses feux et, pourtant, le vert des prés avait pris des nuances dorées, les baies des sorbiers rougeoyaient et les bois se teintaient çà et là d’un roux ardent ».
Pour qui aime le charme des paysages de l’Angleterre, les bords de la Tamise tant de fois chantés par les poètes, Le Vent dans les saules offre le bonheur – sensuel à la manière anglaise – d’une vie campagnarde : les animaux portent robe de chambre et s’attardent autour d’une table de petit déjeuner à déguster leur porridge ou de grandes tranches de bacon grillé ; les parties de canotage, le pique-nique au bord de la rivière, une tasse de thé sirotée au coin de la cheminée ou bien un bon verre d’une bière épicée sont les plaisirs simples qui accompagnent le cours d’une vie au grand air.
Et je m’arrête là, car je crois qu’il ne serait pas approprié d’en dire plus, sinon à risquer d’abîmer le charme de ce récit fragile, tout en humour, en fantaisie et en délicatesse – Comment, vous n’avez pas encore pris le sentier qui conduit à la maison de Mr Rat, au manoir de Mr Crapeau, baignés par le cours de la rivière, cernés par la forêt où Mr Blaireau abrite sa solitude ? C’est le chemin d’un voyage enchanté ; c’est – comme le dit très justement Alberto Manguel dans sa préface – un réenchantement du monde.
6 réflexions sur « Kenneth GRAHAME: Le Vent dans les saules »
Il FAUT que je le lise! Depuis le temps qu’il me regarde en criant : « Lis moi! Lis moi! » Allez, j’essaie de m’y mettre bientôt!
@Romanza: c’est ce qu’il me disait aussi sur l’étagère où je l’avais rangé! J’espère qu’il te plaira aussi.
Je retrouve dans ton billet tout le charme que j’avais aimé en lisant Le Vent dans les Saules!
@Deuzenn: c’est vraiment un livre charmant, tu as raison, un livre rare et enchanteur.
Je suis tellement heureuse de lire ton billet, je t’avais bien dit que c’était un bijou ! Ce livre est un enchantement du début jusqu’à la fin, comme j’ai aimé passer du temps au bord de l’eau avec
nos 4 amis. Tu me donnes envie de leur rendre visite à nouveau !
@Titine: oui, c’est un enchantement. Et c’est un livre, tu as raison, qu’on doit prendre beaucoup de plaisir à relire.