Ferdinand VON SCHIRACH: Crimes
Comment un médecin tranquille, bourgeoisement installé dans la quiétude d’une petite ville du sud de l’Allemagne, baignée par le Neckar, finit-il après des décennies de vie commune par assassiner sauvagement sa femme, s’acharna à coups de hache sur son cadavre et fut malgré tout réhabilité, après une peine mineure d’emprisonnement ? Comment le vol de ce qui ne semblait qu’une vulgaire tasse à thé entraîna trois petites frappes berlinoises à subir une violence criminelle qui les dépasse ? Comment une passion un peu trop vive conduisit un jour un jeune homme amoureux à vouloir dévorer celle qu’il aimait ? Ou bien un petit voleur minable, mais plein de cœur, à trouver une rédemption dans une plantation en Ethiopie ?
Les onze affaires criminelles racontées par Ferdinand von Schirach sont tellement surprenantes qu’on les croirait taillées sur pièce pour un recueil de nouvelles policières. Ce qu’est ce livre. Et on pourra très bien le lire comme cela. Pourtant, ce sont plus que des nouvelles. Avocat inscrit au barreau de Berlin, Ferdinand von Schirach prétend n’avoir présenté ici que des affaires qu’il aurait défendu. Il se met d’ailleurs souvent en scène dans le cours du récit. Le mélange de violence et de tendresse, de sordide et d’humanité des cas exposés serait tout simplement celui de la vie-même. Pourtant il lui a fallu retravailler ces affaires, afin de les rendre méconnaissables pour protéger l’anonymat des protagonistes et le droit, dans toute affaire jugée, à l’oubli des fautes commises. On ne cesse donc, à la lecture de ce recueil, de se poser une question qui contribue à l’impression vertigineuse de l’écriture de von Schirach. Où se situe la frontière entre le droit et la littérature ? Le problème avec lequel l’auteur se coltine est commun à ces deux regards posés sur le réel : le brusque surgissement du mal, par hasard, ou, comme une énigme, au débouché d’un travail souterrain, ou par le fait d’un enchaînement insupportable de circonstances. Pour cette raison, ce recueil très convaincant, dans lequel l’auteur a su trouver une forme et une langue, sans boursouflures, directes, mais attentives aux êtres et aux événements, à la hauteur de cette ambition morale ou métaphysique, appartient à ces œuvres allemandes contemporaines hantées par la question du droit, inspiration dont la grande Juli Zeh a fait en quelques romans son domaine de spécialité, mais qu’on retrouve aussi à l’occasion traverser un roman de Günter Grass. Jamais donneuse de leçons, en prise directe avec le réel, le contenu de nos vies-mêmes, et les vertiges que la raison morale y découvre, cette littérature nouvelle constitue sans aucun doute un bel exemple de la vitalité contemporaine des Lettres allemandes.
3 réflexions sur « Ferdinand VON SCHIRACH: Crimes »
Brusque surgissement du mal, c’est bien vrai. J’ai aimé ce recueil que j’ai chroniqué l’an dernier.
@Eeguab: Von Schirach a publié un autre recueil, dont on dit beaucoup de bien aussi. Je ne sais si tu l’as lu…
Eh bien tu vois, rien qu’en commençant cette balade je note ce titre dont je ne me souvenais pas et vers lequel je ne serais pas allée spontanément… mais je te fais confiance !