Graham GREENE: Rocher de Brighton

La première scène du livre, conçue comme une séquence de cinéma, met en scène, dans la foule joyeuse de Brighton, la course de Fred Hale, mort en sursis, qui cherche à échapper à ses assassins en s’attachant comme il peut à cette vie qui passe. Rejeté de la compagnie des femmes venues prendre ici du bon temps, il est cependant pris en affection par l’une d’entre elles, la joyeuse et plantureuse Ida Arnold, qui ne connaît d’autre règle que le plaisir et le goût de la justice. Il ne m’en a pas fallu plus pour être séduit par le roman.
Sous couvert d’un thriller mettant en scène un règlement de comptes entre malfrats, c’est en réalité une fable morale de haute tenue que compose Graham Greene. Car sous cette affaire de vengeance et de rivalité entre truands, une autre histoire court, qui est la raison de la première, explique les agissements des personnages, une fable humaine, universelle, disant le goût du bien et la passion du mal. Pinkie n’est qu’un gamin, un truand de quartier, mais capable de donner la mort, exerçant sur les minables qui l’approchent une fascination diabolique. Son indifférence aux autres, à l’existence même d’autrui prend source dans une sorte de renversement de la morale religieuse qui sous la forme de la tempérance et du puritanisme reste l’une des motivation de sa vie. C’est peut-être ce qui rend la rencontre improbable avec Rose possible, comme lui catholique, et qui prouve dans sa fréquentation du jeune gangster sa capacité à être comme lui fascinée par le mal… ou à s’illusionner comme lui. Brighton, lieu des gaietés et plaisirs populaires, fournit un théâtre remarquable à cette histoire.
Dans le fil du récit, de courtes vignettes peintes avec la main assurée d’un miniaturiste évoquent avec art les joies faciles de la plage, le vol des oiseaux de mer, la fumée des vapeurs, les lointains maritimes. C’est dans le décor de la station balnéaire anglaise que restent pris les personnages, histoire de souligner leur manque d’horizon. En harmonie ou en contrepoint avec leurs pensées, ce sont comme autant de petites fenêtres ouvertes sur le monde, disant leur capacité à dire oui ou non à la vie:
Il n’existait rien dont elle ne réclamât la parenté; la glace publicitaire derrière le dos du barman lui renvoyait sa propre image; les filles sur la plage longeaient la promenade en éclatant de petits rires étouffés; le gong résonnait sur le vapeur de Boulogne; la vie était belle. Seule l’obscurité dans laquelle se mouvait le Gamin, sortant de chez Franck, retournant chez Franck, lui était hostile; elle ne pouvait prendre en pitié ce qu’elle ne comprenait pas.
Une belle découverte donc. Et un grand merci à Blog-o-Book et aux Editions Robert Laffont, qui m’ont envoyé ce roman.
2 commentaires
Nanne · 30 novembre -0001 à 0 h 00 min
Ce roman serait une belle occasion de renouer avec un auteur lu il y a longtemps déjà ! Et puis, cette édition « Pavillons poche » réédite de bien beaux ouvrages, parfois oubliés des lecteurs assidus que nous sommes …
Cléanthe · 30 novembre -0001 à 0 h 00 min
@Nanne: un coup de chapeau en effet à la collection « Pavillon poche ». Ce roman est franchement parmi ce que j’ai lu de mieux cette année.