Aki SHIMAZAKI: Tsubame (Le Poids des Secrets, 3)

Aki SHIMAZAKI: Tsubame (Le Poids des Secrets, 3)

Yonhi a perdu sa mère et son oncle, disparus lors du massacre qui a suivi le tremblement de terre de Tokyo de 1923. Emigrée de Corée avant la naissance de Yonhi, sa mère l’a confiée à un prêtre catholique étranger, surnommé Monsieur Hirondelle (Tsubame), qui l’a mise à l’abri dans son orphelinat. Yonhi est devenue Mariko, protégée par cette identité japonaise d’emprunt du sort qui frappe ses compatriotes…

Au cœur de ce troisième volume du Poids des secrets, le rapport complexe du Japon à son passé colonial, ici à la Corée. Après la colonisation du pays en 1905 de nombreux Coréens ont émigré au Japon pour y fuir la misère imposée par l’occupant à leur pays en raison d’une domination souvent impitoyable, certains y ont même été déportés pour répondre aux besoins de l’industrie nippone. Une double humiliation ! Une partie de cette population coréenne s’est maintenue dans le pays jusqu’à aujourd’hui, où elle constitue la première communauté de résidents « étrangers », et est encore souvent victime de discriminations. Au lendemain du tremblement de terre du Kanto, qui fit plus de 100000 morts, les autorités japonaises ont pris les résidents comme bouc émissaire des incendies qui s’étaient déclarés. Je ne savais rien du massacre commis contre les Coréens au lendemain du tremblement de terre. C’est d’ailleurs l’occasion de la partie la plus émouvante du livre : Mariko, âgée, revenant sur les lieux où ont disparu sa mère et son oncle, à l’occasion d’une action menée par des descendants de Coréens et des militants japonais pour exhumer les corps de victimes d’une ancienne fosse commune.

Au centre du roman, le personnage de Mariko donne un tour nouveau au récit, plongeant à la fois dans le passé et le futur de la pentalogie. Condamnée, pour survivre, à une existence vécue dans le refoulement de son identité et l’ignorance de ses origines, Mariko, japonaise sans l’être, introduit tout le poids du refoulement de l’altérité dans un Japon où la notion des origines continue à être un marqueur fort de l’identité, et où surtout aucun travail analogue à celui accompli par l’Allemagne dans les décennies d’après guerre n’a été réalisé sur le passé raciste et totalitaire. Refoulement donc de l’identité de Mariko, sur quoi Aki Shimazaki ouvre une perspective sensible à travers l’errance de Mariko, en quête d’un passé disparu, dans les derniers chapitres, et sa rencontre avec madame Kim, qui lui traduit le journal de sa mère écrit en une langue oubliée. Refoulement par le Japon de son passé colonial et de son rapport à cette altérité coréenne qui cependant le constitue, et qu’illustre de façon si émouvante l’oubli par Mariko de la langue de ses origines. Ce sont les deux mouvements d’une même tension qui court sous la surface d’un récit apaisé, tout aussi efficacement que dans les deux précédents volumes, mais en prenant un tour ici plus social et politique.

Mariko cependant a un double secret : celui de ses origines coréennes enfouies au plus profond d’elle-même et le secret de sa naissance. Cette deuxième trame articule une fois de plus le récit de la grande Histoire à celui des histoires privées dans une narration qui se révéle de plus en plus efficace. A mesure que l’on avance dans la pentalogie, le principe des narrations croisées commence à donner en effet toute sa mesure, éclairant, par la multiplication des points de vue, des comportements, des personnages, des scènes laissés dans la pénombre des précédents livres, ou dans un certain flou. Elle confère à ces récits minimalistes une profondeur d’une rare efficacité. Les effets de miroir d’un livre à l’autre sont nombreux : la Corée, le destin des enfants naturels, la figure de personnages venus de loin nourrir un Japon xénophobe et l’enrichir, le reflet même des noms de Yukio et Yukiko, le couple gémellaire sur lequel débute la série – autant de renvois, de miroirs, de rimes thématiques éclairant avec pudeur l’Histoire d’un Japon à la fois meurtri et tortionnaire.

A mesure que la pentalogie progresse, le thème de la disparition se détache de plus en plus comme le motif principal de ces livres. Ainsi que la recherche d’une forme à l’unisson de cette thématique, dont je relèverai seulement par exemple la tentative de l’autrice pour aborder les émotions, les sentiments par un autre biais que celui de la description, mais en les faisant pour ainsi dire surgir dans l’esprit de son lecteur. Ou cette façon sensible de ponctuer le récit, souvent en tête des chapitres, par l’évocation des saisons et des évolutions météorologiques. Ce sont décidément des livres à lire au calme, par exemple dans le silence de la nuit !

« Je lève les yeux.

Couvert de nuages épais, le ciel s’étend à l’infini. Il fait anormalement chaud et humide pour une fin d’été. C’est encore le matin. Pourtant, je sens ma chemise déjà trempée de sueur.

Au-dessus de moi, un couple d’hirondelles passe rapidement. Elle vont et viennent entre le toit d’une maison et un fil électrique. Elles partiront bientôt vers un pays chaud. J’aimerais bien voyager librement comme elles.

Ma mère m’a dit une fois: « Si on pouvait renaître, j’aimerais renaître en oiseau. » »

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