Une femme dont on parle (MIZOGUCHI Kenji)
« Dans le quartier des plaisirs de Kyoto, Hatsuko dirige une maison de geishas. Étudiante à Tokyo, sa fille, Yukiko, revient chez sa mère après une tentative de suicide. D’allure et de tempérament moderne, elle rejette le métier de sa mère. Sans le savoir, les deux femmes vont s’éprendre du même homme, obligeant Yukiko à devenir ce qu’elle hait par-dessus tout. »
Nouveau film de Mizoguchi et de nouveau (je me répète !) un chef-d’oeuvre. Après les deux fils « historiques » vus hier et avant-hier, c’est un film contemporain cependant cette fois, enfin l’histoire contemporaine d’un Japon entre tradition et modernité. Tout l’engagement humaniste de Mizoguchi est là encore une fois: la condition des femmes, et en particulier des geishas, que le cinéaste présente à rebours d’une certaine esthétisation traditionnelle de cette forme de prostitution sert de toile de fond.
Dans l’espace quadrillé, cloisonné, de la maison de prostitution, dont la caméra de Mizoguchi rend superbement l’espace où se retrouvent enfermées et magnifiées ces femmes cultivées comme de jolies plantes d’ornement, pour le plaisir d’hommes sans raffinement, plan après plan, c’est toute l’esthetisation de la geisha qui est pour ainsi dire retournée contre elle-même : la maladie, l’inégalité des conditions sociales (ces femmes sont toutes des filles de paysans louées à des industriels et des commerçants fortunés) vient rappeler la réalité des rapports humains et sociaux. Les discours crus et véridiques s’opposent aux costumes et aux rituels, comme dans le théâtre no dont quelques scènes exemplaires donnent un aperçu saisissant.
Au milieu de tout cela, une histoire d’amour – celle d’une fille et d’une mère pour le même homme, de fidélité – celle de la fille pour la mère qui apprend à découvrir ces femmes et le sens de la vraie compassion.
Encore une fois, j’aurais plein de choses encore à en dire, tant chaque plan de Mizoguchi est d’une richesse incroyable (et notamment ces trois vues de l’extérieur de la maison de geishas, avec leur perspective en diagonale opposée au quadrillage orthogonal de l’espace intérieur de la maison qui ponctuent la narration; le choc du masculin et du féminin, de la jeunesse et de la vieillesse, de la tradition et de la modernité, du raffinement et de la vulgarité, de l’intérêt et de la compassion, dont cette maison est le théâtre, et qui est sans doute le vrai sujet esthétique du film – et tant de choses encore!). A voir donc, à voir absolument. Et à revoir. Et à repasser aussi dans sa tête, en attendant la suite de cette rétrospective, qui continuera pour moi demain avec Les amants crucifiés.