Festival d’Avignon 2015
Cela fait plusieurs semaines, je sais, que le festival d’Avignon 2015 s’est achevé. Et je n’ai toujours pas trouvé l’envie, ou le loisir, d’ajouter à mon petit carnet de lecture les pages projetées alors. Un plaisir chassant l’autre, c’est sur les pentes boisées, les verts alpages et les sommets des Alpes, entre Bavière, Tyrol et Pays de Salzburg que j’ai emporté depuis le début du mois d’août mes carnets et ma bibliothèque. Et il est vrai que de là-haut, Avignon commence à me sembler bien éloigné.
Il faut dire que ce cru 2015 ne restera pas non plus dans mon souvenir comme la plus mémorable édition du Festival. Pour des raisons qui tiennent à la chaleur, d’abord, de cet été étouffant. Mais à plusieurs spectacles aussi, qui m’ont assez déçu. J’attendais beaucoup de cette édition, dans laquelle Shakespeare devait tenir une place de choix. J’ai beaucoup lu Shakespeare (mes billets à suivre), mais j’ai été peu convaincu par ce que j’ai vu sur les planches.
S’il faut donc tirer un bilan, je retiendrai de ce Festival:
Une grosse déception: Richard III, mis en scène par Thomas Ostermeier, un blockbuster théâtral, qui a réjoui le public d’Avignon, mais m’a laissé de marbre, malgré la performance de son acteur principal, la scénographie dynamique, et surtout les déclarations d’intention du metteur en scène, bien éloignées cependant de ce que j’ai réellement vu. Bref, je n’y ai pas trouvé mon Shakespeare, et surtout pas le grand drame politique qu’est la pièce de Shakespeare, mais une sorte de carnaval post moderne, qui continue à se faire peur avec des figures du mal tirées de la proche histoire (Richard III pendu, à la fin, comme à un croc de boucher, façon de rappeler un peu lourdement la fin de Mussolini), plutôt que d’interroger le mal contemporain, ou plus simplement encore de demander ce qu’un homme du XVIème siècle comme Shakespeare pourrait bien avoir à dire, à nous dire, depuis son siècle différent du nôtre sur la question du mal politique.
Une déception relative: Le Roi Lear, mis en scène par Olivier Py, dont la mise en scène justement ne méritait pas, me semble-t-il, la bronca dont le spectacle a été victime de la part de la presse parisienne. Pour le coup, c’est à une véritable tragédie que nous fait assister Py, et à un vrai moment de théâtre, mais une tragédie classique, une tragédie grecque, avec des accents de tragédie chrétienne: quelque chose entre Eschyle et Pascal, un spectacle très cohérent, faisant signe souvent vers la peinture religieuse baroque ou pré-baroque, ou vers d’autres tragédies de Shakespeare, mais obligé de gommer cependant des aspects importants du texte. Pour preuve la traduction d’Olivier Py, qui, sous prétexte de retrouver la parole du dramaturge élisabéthain trop souvent supprime les métaphores, réduit les tours poétiques, et surtout recadre le propos de Shakespeare autour de Lear et de son bouffon, oubliant (volontairement sans doute) la polyphonie du texte.
Une belle découverte: Antonio et Cleopatra, transcription personnelle de la tragédie de Shakespeare, mise en scène par Tiago Rodrigues, un très beau spectacle, centré sur la performance d’un couple d’acteurs portugais très convaincants. Se centrant sur le couple d’Antoine et de Cléopâtre, un couple politique, et de ce que ce couple signifie pour nous, qui l’abordons avec nos imaginations, nos fantasmes, et le souvenir d’un autre couple mythique, celui d’Elizabeth Taylor et de Richard Burton dans l’adaptation de Mankiewicz, Rodrigues détricote la tragédie politique en remontant au cœur, amoureux, de cette histoire tragique. C’est à la fois efficace, touchant, sensible et redonne pour le coup envie de se replonger dans le texte de Shakespeare ou de revoir le beau film de Mankiewicz. Que demander de plus à une représentation théâtrale?
Le Off a été l’occasion de quelques beaux spectacles: Nous n’irons pas ce soir au Paradis (Théâtre des Halles), une évocation intelligente et ludique de La Divine Comédie de Dante et une belle incitation à lire aussi; La Peau d’Elisa (Théâtre des Halles); Les deux frères et les lions (encore aux Halles); Le Prince travesti de Marivaux (mise en scène de Daniel Mesguich, au Théâtre du Chêne noir), un Marivaux noir, très noir, assez éloigné de ma lecture de la pièce, mais pour le coup vraiment convaincant. Côté danse, j’ai adoré Index (Théâtre Golovine), mêlant danse hip-hop et jeux de clowns, et, comme chaque année, les beaux spectacles présentés aux Hivernales (Réversibles; Lowland; Das Kino).
Enfin, comme chaque année encore, Avignon a été l’occasion de découvrir quelques beaux textes, lus en marge, ou en accompagnement, des représentations, notamment le Don Juan revient de la guerre, de Ödon von Horvath. Ou de relire certains classiques: les trois Shakespeare programmés au In, bien sûr, mais aussi En attendant Godot, un Marivaux, un Pinter. Mais je reparlerai de tout cela, en mettant à jour les pages du mois de juillet laissées vides sur mon carnet de lecture… Pour le moment, retour à l’Alpe, et au chalet d’Heidi. C’est là, dans un beau tas d’herbe bien fraîche, que j’ai posé ma pile de livres du mois, à côté de mes chaussures de montagne. Et comme on dit ici: Servus!