Henri FOCILLON: Lettres d’Italie
Entre 1906 et 1908, le jeune Henri Focillon, tout juste sorti de l’Ecole Normale et de la préparation à l’agrégation, effectue deux voyages successifs en Italie, afin d’y réunir les documents nécessaires à la rédaction d’une thèse consacrée à Piranèse. Un premier voyage de sept mois, à Rome. Puis deux autres mois à Venise. Ce sont quelques unes des lettres adressées par l’historien de l’art à ses parents qui ont été rassemblées dans ce recueil.
Il suffit de lire les premières lignes que Focillon consacre à sa traversée du Gothard pour se convaincre que cet échantillon de lettres constitue l’un des grands moments de la littérature de voyage. Je savais, pour avoir goûté avec délice L’art des sculpteurs romans et le plus célèbre Moyen âge roman et gothique, que Focillon appartenait à cette race de grands universitaires qui sont en même temps de solides écrivains et qui ont donné à la littérature scientifique européenne quelques uns de ses plus beaux échantillons. Il y a en plus, dans l’aspect débrayé de cette correspondance, une fraicheur de ton, des notations d’un goût exquis qui ne peut qu’enchanter l’amateur de l’art et de l’Italie.
On y suit aussi la naissance d’une conception de l’art, qui est sans doute, avant Proust, l’une des plus originales du XXème siècle: celle d’un art conçu comme une réalité indépendante, pouvant se justifier par ses propres lois, formelles, indépendamment du milieu ou de l’histoire. On y voit le jeune Focillon qui, contre Taine, visite Rome et prétend ne pas expliquer Piranèse par Rome, mais Rome par Piranèse. Les très belles pages qu’il consacre aux ruines de Rome montrent cette logique pour ainsi dire interne à l’oeuvre qui fait que les monuments romains possèdent une vie propre au-delà de ce qu’avaient voulus les bâtisseurs antiques: « Debout contre le Capitole, l’arc de Septime Sévère semble avoir été conçu ruiné, tellement il est beau dans sa décrépitude, tellement il triomphe de sa ruine même. » Une valeur que souligne la parenté des ruines romaines avec le paysage, comme ruiné, des environs de Rome. Le génie de Piranèse est d’avoir été attentif à cette poétique de la pierre, cette valeur propre du bloc, du rocher, qui s’exprime au-delà de l’utilité de l’oeuvre.
Henri Focillon, Lettres d’Italie. Correspondance familiale. 1906-1908. Paris. Gallimard, Le Promeneur – Le Cabinet des lettrés. 1999.