Cynthia OZICK: Le Châle
Je ne sais pas comment je pourrais résumer ce livre. Je ne crois pas qu’il doive être résumé. Je dis même qu’il ne le doit pas. Quand un auteur choisit d’écrire sur la Shoah (écrit-on sur la Shoah?) d’une écriture si dense (92 pages), sans concessions, même pas la concession de la beauté de la langue, tellement les phrases parfois, d’une clarté remarquable à l’esprit, restent rappeuses à l’oreille, je pense que c’est une mauvaise action de vouloir le résumer. Il y a des livres qui se prennent comme ils sont, qui se lisent d’une traite, qui se citent, mais ne se résument pas.Nous autres avons trois vies, dit à un moment Rosa, le personnage principal du récit, la vie avant, la vie pendant, la vie après. La vie après c’est maintenant. La vie avant c’est notre vraie vie, chez nous, où nous sommes nés. Et pendant? Ça, c’était Hitler. Le roman de Cynthia Ozick est le récit de ces trois vies. J’ai lu quelque part qu’un lecteur, à propos d’un de ses autres livres, parlait d’une pelote de laine qu’on déroule. C’est exactement ce qui se passe ici. Le Châle est un diptyque, deux chapitres d’inégale longueur. Le premier, dix pages, fulgurantes, au camp: je vous laisse lire ces dix pages, où Rosa perd son bébé qu’elle dissimulait serré près d’elle, dans un châle. Le second chapitre, trente ans plus tard, raconte deux journées de la vie de Rosa, à Miami, sa folie, l’incapacité de s’intégrer à une société pour qui il n’y a plus que demain, le bonheur qu’on doit s’accorder, les petits plaisirs qu’on doit bien à soi même et pour qui finalement la Shoah n’est plus qu’un objet d’études universitaires.
Avant. Pendant. Après. Grâce au récit de ce pendant qui ne passe pas (pour ceux qui sont revenus des camps, c’est toujours ici un peu le camp; un barbelé n’est jamais innocent, même quand on en entoure la plage privée d’un hôtel chic), Cynthia Ozick nous offre un récit sans concessions hanté par l’ombre des mythologies d’Europe centrale (le golem) et par la nostalgie d’un passé qui ne sera jamais plus.